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[v.1501]
- [v.1562]
Maurice Scève, représentant le plus illustre
de l'école lyonnaise, est né à
Lyon, entre 1500 et 1505, dans une famille
bourgeoise qui joue un rôle honorable dans la vie de
la cité.
Son existence reste mal connue. Il reçoit une solide
formation intellectuelle. Peut-être devient-il docteur
en droit.
Vers 1530, il est en Avignon attaché
au vicaire de l'Archevêque. En 1533,
il prend part aux recherches qui tentent de retrouver le tombeau
de la mythique Laure, la dame que Pétrarque
avait aimée et chantée dans son Canzoniere,
morte en Avignon lors de la peste de 1348.
Il y découvre un sonnet qu'il attribue à
Pétrarque. Cette trouvaille lui vaut la célébrité,
et les félicitations du roi François Ier,
lui même grand amateur de poésie pétrarquiste.
De retour à Lyon, Scève fréquente
les cercles cultivés et connaît les milieux
néo-latins où s'épanouisse le
sodalitium lugdunense.
En 1535, Scève fait la connaissance d'Étienne
Dolet et lui donne à imprimer son premier ouvrage,
La Déplorable Fin de Flamete (1535-1536),
traduction d'un roman espagnol de Juan de Flores,
inspiré du Fiammetta de Boccace.
Ce travail révèle déjà l'intérêt
que Scève porte au renouveau de la langue
littéraire.
En 1536, en exil à Ferrare,
Marot
lance, avec son épigramme du Beau Tétin,
une mode et un concours dont s'engouent les poètes
lyonnais. Scève participe à ce concours
des blasons lancé par Marot. Il compose
alors cinq blasons (Le Sourcil, La
Larme, Le Front, La Gorge,
Le Soupir) et c'est lui qui remporte la
palme décernée par la Duchesse de
Ferrare, Renée de France, pour son Blason
du Sourcil.
C'est un poète déjà renommé qui,
la même année, participe au tombeau
bilingue du Dauphin de France, le fils préféré
de François Ier, mort en 1536, avec
une Églogue sur le trespas de Monseigneur le Dauphin
qui s'intitule Arion et donne quelques épigrammes
latines et française au Recueil de vers latins
et vulgaires de plusieurs poètes français
publié par Étienne Dolet pour la mort
du dauphin François.
1536 semble être aussi l'année de la rencontre
avec Pernette du Guillet, poétesse lyonnaise,
en qui on s'accorde à reconnaître Délie.
Pernette, dans ses vers, fait allusion à Scève,
mais la réciproque n'est pas vraie. La Liaison fut,
semble-t-il, platonique. «Délie,
objet de plus haute vertu», long poème à
la structure complexe dédié à Pétrarque,
où Scève chante la femme aimée
(son inspiratrice est Pernette du Guillet), paraît
en 1544 (2e éd., 1562). Très influencée
par les canzoniere italiens, cette oeuvre
reste toutefois très personnelle et apparaît
comme un grand poème de l'absence. L'intérêt
de la poésie de Scève réside
dans l'originalité du langage : poésie allusive,
suggestive usant de l'ellipse et d'ambiguïtés,
et souvent considérée comme hermétique
pour ces raisons.
La Délie est le premier cycle amoureux
de la Renaissance française. On trouve, certes,
chez Marot et chez des poètes néo-latins
tels que Salmon Macrin, Nicolas Bourbon et Jean
Visagier comme l'ébauche du genre, et Jean de
Boysonné a composé un cycle de poésies
amoureuses. Mais, c'est Scève qui, à
l'instar de Pétrarque et de ses émules,
a créé un ouvrage capable de rivaliser avec
les poètes de la péninsule.
Figure de premier plan dans la vie culturelle lyonnaise
et chef de file du cénacle d'érudits
(Barthélémy Aneau, Pierre
Tolet,
) qui travaillent alors à promouvoir
de nouvelles exigences poétiques, mais aussi membre
d'une des riches familles qui se partagent les charges officielles
de la ville, Maurice Scève est le principal
organisateur des fêtes données en 1539
et 1540 lors du passage de François Ier
à Lyon.
Désormais admiré comme le maître des
poètes lyonnais, Scève entrecoupe
sa vie publique de longues retraites à la campagne.
À la mort de Pernette du Guillet, en 1545,
Scève lui rend un dernier hommage en faisant
publier, avec une épitaphe de sa main, les Rymes
de gentile et vertueuse dame Pernette Du Guillet.
Il compose, en 1547, la Saulsaye, genre
pastoral, églogue de la vie solitaire nourrie
de cette inspiration champêtre et méditative
influencée en partie de Sannazaro. Scève
nous y présente deux interlocuteurs, dont l'un défend
les attraits de la vie urbaine, sociale, et l'autre fait l'éloge
de la vie champêtre et solitaire. Ce faisant il reprend
à son compte le lieu commun de l'opposition
rus/urbs dans le cadre de l'églogue;
mais l'éloge de la solitude et l'évocation de
la nature mettent en lumière l'originalité du
poète, et l'on peut à juste titre voir dans
ce poème un maillon important dans la chaîne
du genre pastoral à l'époque de la Renaissance.
Dès l'année suivante, poète officiel,
il fut rappelé pour organiser les festivités
somptueuses de l'entrée royale du roi Henri
II à Lyon en 1548.
La fin de sa vie reste mystérieuse.
Il donne encore à la vie intellectuelle et poétique,
et en 1555, on trouve encore son nom, aux côtés
de ceux d'Olivier de Magny et de
Jean-Antoine
de Baïf, dans un recueil d'hommage collectif
à
Louise
Labé, Escriz de divers poètes a la
louenge de Louize Labé, Lionnoize.
Ensuite, on ne sait plus grand chose de lui, si ce n'est qu'il
élabore un dernier texte, un grand poème
cosmologique, Microcosme, paru chez Tournes
à Lyon en 1562 (mais des indications
assez sûres laissent penser que le texte fut rédigé
en 1559).
Comme les autres ouvrages de Scève, ce poème
a été publié sans nom d'auteur, mais
personne n'a jamais douté qu'il fût de lui.
Cette oeuvre s'inscrit dans la tradition seizièmiste
de la poésie scientifique.
Ce poème se divise en trois livres de mille vers
chacun et se clôt par un tercet; il chante
les réalisations de l'homme au cours des siècles
et met l'accent sur la dignitas hominis, l'un
des thèmes favoris de la Renaissance; il s'y
mêlent les influences de différents courants
intellectuels, depuis les idées d'un Moyen Âge
finissant jusqu'à la tradition encyclopédique
de la Renaissance.
Le premier livre traite de l'homme depuis la
création jusqu'au crime de Caïn;
dans le deuxième, Adam entrevoit en rêve
la naissance des arts et des techniques jusqu'au moment
où l'apparition d'Orphée y met fin par
la peur qu'il inspire à Adam. Dans le troisième
livre, Adam apprend à son épouse les
progrès dont l'esprit humain est capable.
On voit que les thèmes principaux sont développés
à l'intérieur d'un cadre nettement religieux:
la présence d'Adam et d'Ève à
elle seule serait la garantie de l'inspiration chrétienne.
Toutefois, c'est l'homme qui tient la place centrale:
grâce à la liberté qui lui a été
octroyée, il peut déployer toute son énergie
au profit des générations à venir. Évidemment,
il peut choisir le bien ou le mal, mais ici l'accent est mis
sur les qualités bénéfiques de la race
humaine; le péché est rejeté plutôt
sur Caïn et se dissout, pour ainsi dire, dans
la stérilité de la race.
Scève met en vedette les réussites, et
non pas les échecs ni les imperfections de l'homme.
Son évocation de ce monde ici-bas est empreinte d'un
très grand optimisme.
Évidemment, un poème de ce genre n'est pas dépourvu
de longueurs ni, çà et là, d'une certaine
sécheresse: la description des progrès réalisés
grâce à l'enseignement, à l'agriculture,
à la mathématique, à l'architecture,
frôle par endroits le prosaïsme. Mais l'intérêt
du poème nous semble résider ailleurs: dans
l'évocation de la nature, des rapports entre
Adam et Ève, d'une joie de vivre incontestable,
thèmes qui lui confèrent un remarquable dynamisme
poétique.
Publié à titre posthume, la Délie
et le Microcosme valent à Scève
une place assurée au panthéon poétique.
Mais, Scève tombe très vite dans l'oubli,
bien que les auteurs de la Pléiade aient vu
en lui un maître; on redécouvre aujourd'hui son
oeuvre, qui avec le recul dont peut bénéficier
un lecteur du XXe siècle et prise dans sa totalité,
apparaît comme un exemple frappant de l'originalité
poétique de la Renaissance.
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